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01
Mar
2012

[Publié à l’origine dans C Le Mag N° 93] 

 

A l’occasion de la sortie de son deuxième et excellent album Bella Mascarade et la sélection du SKELETON BAND au prestigieux Printemps de Bourges, nous sommes allés à la rencontre de ce groupe atypique en la personne de son chanteur Alex qui répond à nos questions, voilà sans plus tarder la retranscription de la conversation sur la terrasse d’un café montpelliérain un jour de printemps en plein hiver ! 

 

Il se trouve sûrement parmi nos lecteurs quelques-uns qui ne connaissent pas encore le groupe, peux-tu donc en quelques mots retracer le parcours du SKELETON BAND ? 

 

Nous avons commencé en 2007 et fait notre premier concert en octobre de la même année au Up’n’down (NDG : petite salle géniale à Montpellier) puis tout s’est très vite enchaîné : en décembre nous avons enregistré une démo avec le bluesman Petit Vodo, en juillet 2008 nous enregistrons notre premier disque au Kaiser Studio de Lucas Trouble sur Nova Express Records. Ce disque est sorti un an après et de fil en aiguille on en arrive à notre deuxième disque enregistré chez l’américain Bob Drake. Nous l’avons fait dans son village paumé au milieu de nulle part en raison du fait qu’il a travaillé avec des groupes que nous adorons comme THE DEAD BROTHERSMAMA ROSIN... L’album est sorti le 20 février et entre-temps nous avons appris que nous étions sélectionnés aux découvertes du Printemps de Bourges ! Sinon nous avons pas mal tourné un peu partout depuis le temps.

J’ai cru remarquer une revue de presse assez importante au sujet du groupe, sur le papier ou sur le net, étonnante pour un groupe "aussi jeune"... 

 

Nous avons un parcours assez paradoxal avec ce deuxième album : nous l’avons enregistré en décembre 2010-janvier 2011et nous avons passé un an à l’emmener sur la route et à le faire vivre (NDG : le groupe a effectué quarante concerts en 2011), nous cherchions en plus des gens pour travailler dessus avec nous (labels etc.) et cela n’a pas été aussi facile que cela, les gens étaient assez frileux par rapport au potentiel de vente. Du coup nous nous sommes mis d’accord avec un label belge qui s’occupe de la sortie digitale partout, nous vendons nous-mêmes par correspondance notre disque et il y a également un label suisse, Urgence Disk, qui s’occupe du disque dans son pays. Tout ceci fait parler de l’album et explique le petit battage autour. 

 

Quand on examine ces fameux articles, quelque chose revient à tous les coups - et c’est de votre faute à mon avis héhé - : l’évocation systématique de l’univers des demi-dieux Tom Waits et Nick Cave pour définir le genre musical qui vous caractérise. Et à la longue c’est fatigant pour le fringant chroniqueur qui tient le micro aujourd’hui (rires)... 

 

Peut-être est-ce plus facile à faire entendre au public qui pourrait lire la chronique, je pense qu’en plus avec ce disque nous nous détachons assez clairement de ces influences, on y trouve par exemple beaucoup de choses très européennes aussi dans l’influence des musiques traditionnelles, nous aimons aussi beaucoup la musique d’Amérique latine. Nous désossons tout ceci pour le mettre dans notre marmite, nous faisons ensuite notre propre tambouille . De plus je ne m’amuserais pas à me comparer avec Tom Waits... 

 

Pour ma part j’y trouve un mix cinématophonique (si, si), une alliance de couleurs et de sons avec des zestes des TETES RAIDES, du Honkytonk man du grand Clint, une pincée de David Lynch’O Brother des CoenCharlélie Couture, les polars du bayou de Jim Thompson, le tandem Caro-Jeunet... Et j’en passe ! 

 

C’est vrai que nous parlons des influences musicales mais les influences extra-musicales ont beaucoup compté pour nous. Le cinéma par exemple, et pas forcément celui de Jim Jarmusch auquel on peut facilement nous comparer. En composant nous aimons penser au cinéma de Jean-Luc Godard, ce côté destructuré des choses parfois, comment trouver un autre langage pour raconter une histoire... 

 

En visionnant les clips (très réussis) d’autres noms et genres fusent d’ailleurs comme le cinéma muet et Buster Keaton... 

 

Oui et d’ailleurs nous sommes aussi très touchés par la musique du tout début du vingtième siècle qui illustrait souvent le muet. N’oublions pas les livres aussi, John FanteCharles Bukowski et la question de l’errance que l’on retrouve souvent dans nos chansons sans que pour autant nous nous y identifiions, nous sommes tous les trois français et il nous paraît important de ne pas nous faire passer pour des américains. 

 

Après le blues du prêcheur (traduction du titre du premier album : Preacher blues), vous passez à la Mascarade, est-ce un clin d’oeil à février, à Venise ou plutôt un retour au macabre du dessin animé de Disney (The Skeleton Danse - 1929 *) qui a inspiré le nom du groupe ? 

 

Ce dessin animé nous a beaucoup marqués, en particulier ce jeu drôle même dans la mort. Mais pour Bella Mascarade, c’était aussi pour contaminer des morceaux, que nous chantions souvent en anglais, avec d’autres langues et sonorités. A ce moment-là, j’apprenais un peu l’italien et j’étais très intéressé par ces mots qui se comprennent facilement dans peu importe la langue. Mascarade aussi car les personnages que nous chantons échouent souvent à être ce qu’ils disent ou tentent, nous nous amusons donc avec les belles phrases, les apparences... 

 

Encore un parallèle avec le cartoon, c’est, outre l’humour, ce bric-à-brac sonore qui caractérise le groupe depuis le début avec l’emploi d’objets comme instruments de musique... 

 

Ces objets sont présents sur l’album mais d’une autre manière. Chez Bob Drake par exemple la maison est truffée de micros, nous avons donc joué avec les distances, enregistré du dehors d’une pièce... Nous aimons aussi jouer avec des objets un peu cassés, avoir un son brinquebalant qui nous rappelle un peu nos faiblesses musicales des débuts du groupe. Nous les avons recyclées en force et en identité. 

 

Les clips (Sobre et marin et Eméchée la mèche) montrent à la fois de purs moments ruraux et aussi des scènes urbaines, alors, rats des villes ou rats des champs ? Qui réalisent donc ces fameuses vidéos ? 

 

Nous avons tendance à inclure les deux dans notre univers, nous aimons les deux. Pendant par exemple le tournage de Sobre et marin au centre de Bruxelles, le canal dans lequel on n’a pas franchement envie de se baigner ajoute ce côté bastringue au morceau, le décor fait partie intégrante de celui-ci. Cette vidéo a été réalisée par Léo Lefèvre, un ami très doué qui vient de terminer l’INSAS, l’école de cinéma en Belgique. L’utilisation de pellicules, en particulier recyclées (NDG : lire : qui ont déjà servi) ou abimées donne ce grain caractéristique à l’image. Il est important par ailleurs de rappeler que personne n’invente rien, que le recyclage est inévitable dans l’art. Je me souviens d’un reportage au sujet de Marc Ribot (NDG : guitariste en autres pour Tom WaitsJohn ZornAlain Bashung...), La Corde perdue, dans lequel il disait que tout ce qui a été créé depuis le début de l’art est comme une montagne, une grande poubelle dans laquelle on pioche pour malaxer des choses ensemble encore et encore pour voir ce que cela donne. Et c’est pour cela que nous faisons cette musique qui laisse transparaître des influences anciennes comme le blues, la musette parfois, mais qui également regarde vers l’avenir. 

 

L’expressionnisme semble aussi avoir laissé des traces (Wampyr, Murnau) dans la réalisation, les clins d’oeil... 

 

A l’époque du premier album ce genre nous passionnait, nous avions l’envie de raconter des histoires avec nos chansons et ce côté théâtral marquant, la démesure des choses, l’irréel inhérents au genre nous ont définitivement inspirés. 

 

Restons dans l’image, tu ne couperas pas à quelques mots au sujet de vos projets autour du Cabinet du Docteur Caligari, de Thomas Ott... Etes-vous partants pour réitérer avec d’autres oeuvres ? 

 

Pour Caligari (NDG : Le groupe joue pendant la projection du film), c’était la première fois que nous faisions un ciné-concert : une véritable course de fond pour coller aux images de manière personnelle (après tout une bande-son existe déjà), expérimenter. Nous aimerions d’ailleurs le refaire souvent. Le 26 mars en bonus des élèves de la fac de sciences interviendront pour un odorama, à nos risques et périls (rires). Même plaisir avec Thomas Ott (NDG : cette fois, le groupe joue pendant la projection des cases de cette BD de légende) sauf que là nous passons nous-mêmes les images de la BD, à notre rythme. Tout en gardant l’essence de Panoptikum, nous avons réussi à raconter une autre histoire. Pour la suite, le spectacle"Epreuves" (NDG : "docu-concert" autour du parcours d’un photoreporter) est en chantier. 

 

Direction Bourges ! 

 

Nous jouons le 26 avril à midi. Nous sommes très heureux de cette forme de reconnaissance d’autant que les concerts sont d’ores et déjà complets. Nous avions déjà tenté le coup en 2010 à Victoiresans être pris, nous sortions juste de studio. Beaucoup de choses ont changé depuis, d’un côté plutôt intimiste au début à une mise en scène plus élaborée. Nous espérons évidemment faire un bon concert et nous sommes assez curieux de voir comment ça va se passer au sein d’une si grosse machine. 

 

Une question par rapport aux textes, comment les travailles-tu ? J’ai pu noter un sacré travail au niveau des consonances et allitérations sur les textes en français... 

 

Tu es le premier à y faire allusion. C’est toujours un jeu, proche de celui du cabaret, toujours bastringue, sans parler de faire de la poésie et toutes proportions gardées je pense en utilisant ce langage, par exemple sur Rengaine rafiot, à de la peinture, celle de James Ensor, de Brueghel, tous ces personnages et ces scènes surréalistes, la décadence... 

 

Une dernière pour la route, on trouve de nombreux groupes qui « revendiquent » pas mal un héritage, des influences du sud des Etats-Unis, le swing de la Nouvelle-Orléans etc. Comme le COMPTOIR DES FOUSGADJO LOCOONCLE STRONGLE et bien d’autres en France, qu’en penses-tu ? 

En effet on voit beaucoup d’albums folk de ce genre sortir de nos jours. C’est peut-être pour ça que j’essaie d’écouter d’autres choses en ce moment, pour ne pas essayer de trop coller à une culture qui est celle des musiciens issus de là-bas, leur mémoire culturelle. Pour ma part, beaucoup d’artistes français m’ont marqué comme par exemple Colette Magny. Toute cette musique est de toute façon le point de rencontre entre l’Amérique et l’Afrique, elle touche forcément tout le monde, comme la musique cajun et ses influences multiculturelles. Le tout en tant que musicien est de rester personnel même si le fameux recyclage d’influences est un passage obligé. On crée d’abord de la musique, de l’art en général, pour soi-même et les modes, les envies font le reste ! 

 

Chronique de l’album ici : LE SKELETON BAND [Fra] Bella mascarade (Autoprod) 2012

* le fameux dessin animé est visible là, chef d’oeuvre ! http://www.dailymotion.com/video/xbsb4c_the-skeleton-dance-1929_shortfilms

 

© GED Ω - 16/02 2012

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