13
Jan
2017

Parce que quand on fait l’actualité, on a le droit de rétablir une vérité sans cesse bafouée

par des je-veux-être et des profiteurs. Ceux qui y verront une sorte d’exhibitionnisme sont des idiots, ceux qui comprendront un besoin de mettre les choses à plat auront raison.

[Vendredi 13, se sentant abandonné de tous avec la retraite qui arrive, les copains qui s’en vont et le décès rapproché de plusieurs de ses proches, il range ses petites affaires, prépare le matériel, écrit un petit mot d'explication et empile proprement ses vêtements]

Dans deux jours, c'est mon anniversaire et Maman me force un peu la main pour aller faire les magasins, faut dire, je suis vraiment de la race de ceux que la proximité immédiate des gens en nombre met mal à l’aise, en particulier en période de soldes, un des multiples malheurs du signe du Capricorne.

[Il ouvre la porte du garage, ressent un froid assez vif à cause du liquide sur sa peau, vive le vent d'hiver, il actionne le briquet]

Excellent : pour une somme modique en regard des tarifs astronomiques des marchands de fringues, trois pantalons sont sagement pliés dans le sac qui gît à mes pieds, on peut dire que je suis habillé pour l'hiver. Pour compléter la besace, un petit DVD de monstres à un euro et quelques courses au petit supermarché du coin, ne manque plus maintenant qu'un tour à la pharmacie, en ce moment on ne peut pas dire que ce soit la forme et les ordonnances se multiplient. Mais le fameux papelard et la vitale sont chez ma compagne, il faut faire un crochet là-bas avant d'aller voir le dealer à croix verte. Les fafiots en poche je saute dans la bagnole de Maman pour aller déposer mes courses chez moi avant le tour que je ferai ensuite à pied à la pharmacie.

Tout va ensuite aller très vite.

Nous débouchons dans la petite rue. Un homme est au milieu, debout, les jambes et bras écartés, il brûle.

Pendant un quart de seconde je me demande pourquoi un artificier ou un artiste de rue s'entraîne là mais comme à Bédarieux les gens étranges sont légion, la question n'est pas incongrue. Nous discernons ma mère et moi sans rien se dire que le mec est nu, et que le peu de ses fringues qui lui restent se consument sur lui, nous garons la bagnole en plein milieu, je sors rapidement et me dirige vers ce corps vivant qui émet des cris à intervalles réguliers, je croise ses yeux horriblement exorbités d'où émanent une douleur indicible, nous couvrons l'homme qui exhale une insoutenable odeur de graisse et de poils cramés avec une couverture qui fond en partie sur les flammèches qui constellent le corps alors que des gens commencent à apparaître peu à peu.

Certains que je pourrais battre comme plâtre tant on sent dans leurs yeux de prédateur ce besoin de mater l'horreur de près et la relater ensuite avec un rictus satisfait à un public choisi, d'autres heureusement qui prennent des initiatives. Une dame, dont le regard plein d'humanité est touchant au creux de l'horreur, asperge doucement d'un peu d'eau cet homme qui crie toujours sans arrêt, sa peau est de toutes les couleurs, plusieurs degrés de brûlure sont à prévoir, rends-toi compte : seules ses chaussures sont en partie encore là.

J'ai empoigné mon téléphone, repris mon calme autant que faire se peut pour avoir les pompiers qui vont ensuite me passer le SAMU, le pire sera l'attente toujours trop longue, de l'arrivée des secours. Municipale, gendarmerie puis pompiers, enfin, déboulent pour prendre en charge l'immolé. On ne peut s'empêcher de noter les gaffes que la panique fait faire, personne n'est préparé à un tel spectacle, même les gros durs à grande gueule qu'on devrait tabasser pour leur apprendre la vie au lieu de les laisser nous écraser sous leurs discours de je-sais-tout.

L’odeur et le goût horribles n'ont pas quitté ma gorge et ma bouche depuis, les images de ce visage, de ces cheveux calcinés sur le crâne, ces yeux et ces cris, rien n'est sorti de ma tête. On devrait toujours avoir un œil sur son voisin qui paraît mal en point. S’il veut se foutre en l'air, c'est tout à fait son droit, mais une autre idée naît en le disant, et elle me terrifie, j’aurais pu prendre la rue à pied avec ma fille et cette idée ne quitte pas mon petit crâne.

A bon entendeur...

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