Et Denis ne pouvait s’empêcher d’envoyer une petite prière vers les étoiles chaque soir avant de s’endormir.
Même s’il ne croyait en rien, elle finirait bien par lui tomber dans les bras, il en était sûr, il y avait forcément une justice en ce bas monde. Quand il la vit un jour, soldée dans un vitrine à un prix à peine croyable, il avait couru racketter, juste après avoir fait promettre au marchand à l’inquiétante tronche qu’il la lui garderait de côté, tout son entourage. De ses vieux à la tata qui pique, de son petit frère (ce sale radin planquait de la thune d’origine douteuse dans une boîte à cigares en bois mais il avait fini par craquer quand sa planque s’était avérée connue d’un autre), même ses potes avaient lâché un bif’ devant la passion sidérante qui émanait du futur heureux propriétaire… Et il était revenu au magasin, avait déposé son tas de pièces, quelques billets fripés et même un chèque de sa tante pour la petite somme qui manquait. Nom de dieu, il l’avait en main, pour de bon, le marchand l’avait logée dans son carton d’origine, Denis n’avait même pas eu l’idée de la toucher tant le sourire énigmatique du commerçant l’avait rassuré.
Apparue au tout début des années 1960, la Gibson SG était une guitare formidable, avait exhalé tout en puissance, une puissance phénoménale et un grain d’Enfer, les sons merveilleux de tant de héros, de Angus Young à Eric Clapton en passant par Alex Lifeson et Tommy Iommi. Et elle était à lui, enfin ! Il avait passé quasiment une heure à la regarder quand il s’était décidé à la prendre, à gratter, sans même l’avoir branchée, juste pour tester la tenue, impeccable, de cet instrument de légende. Restait le mystère de cette appellation. SG. Qu’importe après tout, le principal était de jouer, l’histoire était pour ceux qui avaient du temps à perdre, Denis voulait jouer, électriser les foules comme si souvent avec rien dans les mains devant le miroir de son placard. C’est quand il la brancha qu’il se sentit plus fort, plus dur, c’était ça le hard, ses bras qui manipulaient les cordes avaient soudain pris de la vigueur, sa peau était plus épaisse, plus rugueuse, comme celle des légendes dont les posters avaient désormais les yeux sur lui, et rien que sur lui ! Bizarre quand même cette sensation d’armure dès le branchement de l’instrument, bizarre.
Quand les écailles commencèrent à apparaître au niveau de son coude et le long de sa colonne vertébrale, il ne le sentit pas forcément, possédé qu’il était par le son extra que lui procurait le joujou de ses rêves. Mais c’est torse nu et bombé en retrouvant son public du miroir qu’il remarqua ces plaques vertes et dures, ça poussait même dans le cou maintenant, comme dans un clip de ZZ TOP où le gars tombait connement dans un fût radioactif et commençait à se transformer… Pourtant dans son esprit le trouble ne s’installa point, comme si une voix, à chaque pénétration du jack dans son orifice, lui parlait au plus profond de sa personnalité. Était-ce encore un coup de la fameuse xénoglossie pour qu’il comprenne si vite et si bien ce curieux idiome qui ressemblait à…du japonais ? Il avait soudain compris le pourquoi du comment de la puissance phénoménale développée par ses idoles, une seule créature était capable d’insuffler un tel pouvoir à un homme selon son bon vouloir, et il était là le secret du mystérieux sigle : SAINT GODZILLA !! Et tant qu’il aurait dans les mains cette guitare branchée, Denis trimballerait désormais en son corps…un habitant…
[Inspiré par un dessin de Fanny Saint-Pierre]
Ne partez pas sans avoir "aimé la page", retrouvez tous les articles, vidéos et reportages sur votre mur. Soutenez Nawakulture en vous abonnant à la page Facebook et en partageant les chroniques.