InterviewsLes propos des interviewés n'engagent que leurs auteurs.
01
Nov
2012

[Publié à l’origine dans C Le Mag N°101]

 

A l'occasion de la sortie de son superbe livre J'irai cracher sur vos atomes (Editions Le Chant des Muses - septembre 2012), petite rencontre avec Christophe « Uzitof » Brou, peintre, plasticien et cocothnologue à Clermont-L'Hérault dans son atelier rue Doyen René Gosse, lieu de naissance de projets multiples et captivants. 

« Uzitof » qu'es aquo ? « Ce nom date du début de ma carrière de dessinateur et de la naissance des Brigades Carotatives, implantées à Pézenas en 1996. Nous avions sorti un fanzine, Les Tontons flingueurs, avec mon acolyte Doc Flingos. J'ai comme lui choisi un nom d'artiste qui flingue, dérivé du pistolet-mitrailleur Uzi, arme favorite des terroristes de tous poils ». Après une sortie de la scène piscénoise qui restera dans les annales Tofiennes, c'est à Narbonne que Christophe conçoit avec son équipe Miam-miam-glou-glou, fanzine à vocation beaucoup plus large, « une véritable cour de recréation pour ceux qui avaient envie de dire des choses ». Le magazine commence avec trois rédacteurs pour finir à une vingtaine dont des brésiliens, des espagnols, des italiens ! Plus tard, « Uzitof » s'installe à Clermont-L'Hérault et lance son étude loufoque, parfaitement inédite sur la planète, de la cocothnologie... « Un jour je me suis surpris à plier une cocotte en papier, puis deux, puis trois puis tout ceci s'est déformé en une histoire, une planète et une parabole de l'homme à travers la cocotte ». L'homme ira même jusqu'au diorama d'une bataille limite napoléonienne assez incroyable en vue d'un roman-photo, le tout avec un multitude de cocottes pliées dans des sachets de thé ! Si le roman-photo n'aboutit finalement pas, c'est Allo la Terre ?, un écho papier de ce petit monde (la planète Gally) qui voit le jour. 

D'autres projets sont menés en parallèle, parfois aux antipodes les uns des autres, comment fait-on la « balance » entre humour débridé et noirceur totale comme par exemple pour la série des Empalés à la même époque ? « Il n'y a pas forcément de "balance", on se plonge dans un monde où suivant l'humeur, la création naît, l'énergie fait le reste. Certains projets finissent au fond de cartons pendant que d'autres éclosent, c'est comme ça. J'ai toujours dessiné et ne me suis jamais limité à un style ou à une humeur ». L'humeur a pu être déclenchée par les aléas de la vie, les journaux qui te fichent à la porte sans explications après des années de collaboration mais aussi par des rencontres fructueuses comme par exemple avec le magazine Olé ! avec qui « Uzitof » collabore depuis plus de dix ans : « de temps en temps j'écris des articles sur des choses que j'ai beaucoup aimées, des dessins pour des petits événements ponctuels, etc. ».          

Toutes ces activités, diverses et variées, amènent à se poser la question autour des influences de l'auteur. « Oulah, ça vient de partout ! Avoir appris par moi-même a été plus long mais j'ai pu piocher partout, sans formatage scolaire au préalable. La bande dessinée, l'illustration, les voyages... En Afrique où j'ai séjourné par exemple je fréquentais les sculpteurs, les peintres, et on apprend beaucoup au contact des autres, on échange... Il ne faut pas oublier le quotidien qui a lui aussi une part importante dans les influences de l'Art en général ». 

Cette vie quotidienne qui est, lisons entre les lignes (et les traits), un peu vitriolée au travers du livre J'irai cracher sur vos atomes... Aux aveux ! « Sous nos masques on est tous plein  de tortures, de complexes, ils sont nos monstres, bien souvent la cage est à l'intérieur malgré tous les efforts matériels pour paraître "libre". J'ai voulu représenter ces monstres intérieurs qu'on ne veut pas vraiment voir au fond ». Du point de vue du dessin, comment les « monstres » sont-ils nés ? « Chacun d'entre nous est composé de plein de choses, de souvenirs, d'images. Leur dessin est une manière de mêler la matière à des souvenirs, cela raconte un peu cette histoire, ce cheminement de ces personnages qui avancent à visage découvert et on pourrait lire toute leur histoire sur leur tête, d'où ils viennent, où ils vont et caetera. Dans notre monde réel on serait plus du genre à mettre des crèmes, à multiplier les coupes de cheveux et les camouflages... »

Tout ça est vieux comme l'humanité, qui n'est plus toute jeune, sans parler de l'atome... Et si tout cela venait carrément de là, de ce jeu de matière originel, de ce bouillon de culture perpétuel... Mais alors pourquoi cracher dessus ? L'hommage à Vian déjà ! « J'irai cracher sur vos tombes est un des premiers romans noirs parus en France et était pour son auteur une critique de la bourgeoisie américaine avec tous ses travers, et plus on avance, plus c'est dégueulasse. Cette critique est encore valable aujourd'hui en poussant un peu plus loin la chanson, après Fukushima elle devient globale, on ne s'amuse même plus à critiquer des micro-sociétés, le constat est général, planétaire. Et tout le "progrès" pour faire ça, hé bien oui, j'irai cracher sur vos atomes ! ».

Graphiquement, quand on rencontre cette galerie de personnages destroy, on peut se demander si une part de leur physique ne pourrait pas être due à une explosion nucléaire et à d'horribles mutations qui s'ensuivraient... « Il y a une bonne part d'anticipation dans ce projet, j'imagine là ce que donnerait un Fukushima global. Que resterait-t-il ? » Il va sans dire que l'exercice de mise en scène de ces monstres et ce message pose la question aux jeunes générations, peut-être y a-t-il une autre façon de réfléchir le monde ? Auquel cas, sous les masques de monstres faussement grand-guignolesques, l'art de Christophe est définitivement engagé. 

Du coup, que peut-on enchaîner après les monstres ? Quels sont les futurs projets et thèmes du maître ? « Peut-être l'amour (rires) ou un espoir d'amour. Sinon j'enchaîne avec un projet de scénographie de théâtre, un projet qui tourne autour de femmes qui perdent la boule mais aussi de pédophilie, de meurtre, enfin encore un truc tordu. Sinon jusqu'à mi-novembre 2012 une exposition à Minerve, Narbonne, et jusqu'en 2013 des signatures du livre, une bonne dose de courage et de volonté est nécessaire pour présenter son travail, un côté commercial parfois difficile à effectuer. Mais je crois avoir bouclé une boucle en sortant ce livre, quand j'étais petit j'en rêvais, aujourd'hui c'est fait, c'est une grande satisfaction ».

Une satisfaction que ressentiront aussi les amateurs d'art libre et non-conformiste, La publication des monstres s'effectue suite à une belle rencontre avec l'éditeur du Chant des Muses de Béziers qui « craque » sur les monstres d'Uzitof. Et ça tombe bien quand on voit le rendu superbe de l'œuvre dans un livre sérigraphié, très bel objet à contempler, à découvrir au plus tôt !!   

 

© GED Ω - 29/06 2014 

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