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01
Jui
2014

[Publié à l'origine dans C Le Mag N° 98] 

 Brigitte Saint-Pierre : à la recherche du Clermont perdu

On fait, pour diverses raisons, un petit peu ce que l'on veut de l'Histoire parfois, et pas seulement au sujet des grandes villes, celle de Clermont-L'Hérault, autrefois Clermont de (-) Lodève, recèle de nombre d'erreurs car sans cesse remuée par les découvertes, mais elle foisonne aussi de détails fort intéressants tant dans les textes qu'en ses pierres. 

Brigitte Saint-Pierre a commencé il y a une quinzaine d'années comme un hobby à s'interroger sur la ville et son identité, une identité qu'elle définit non pas comme une racine mais comme un fruit, qui se construit au fil du temps et dans lequel on doit voir des strates qui ont chacune laissé des traces dont nous sommes les héritiers. Bien sûr j'ai lu ce qui a été écrit avant moi mais l'ai souvent trouvé très fade et trop fidèle à l'histoire "officielle".  Par exemple quand l'Abbé Durand * parle de l'époque des wisigoths, personne n'a jusqu'ici réussi à trouver quelque preuve que ce soit à ce sujet, ce qui est sûr par contre c'est que Clermont est une ville du XIIème siècle". Brigitte nous offre une visite peu banale de Clermont pendant laquelle les faits sont souvent remis à plat grâce à de bien doctes recherches aux archives mais aussi et tout d'abord auprès des habitants de la ville.

Son premier sujet d'étude sera le Rhônel, ruisseau auprès duquel elle a grandi et dont le passé industriel était complètement oublié. Puis avec un groupe de femmes que j'ai monté qui s'appelait Atelier du Patrimoine, nous nous sommes également intéressées au square Clovis Roques et l'importance des jardins dans une ville. Nous avons d'abord été basées à la bibliothèque de Clermont puis au Greta par l'intermédiaire duquel la première visite guidée du Rhônel, loin d'être l'égout auquel les gens croient, est organisée. Depuis j'ajoute à ces premiers sujets d'autres volets d'étude comme par exemple les seigneurs de Clermont, la création de la rue Nationale au XIXème siècle, celle du quartier bâti par les négociants en vin (Colbert, Ronzier-Joly jusqu'au boulevard Gambetta)... Il va sans dire que le retour des archives à la ville facilite désormais les choses. Suivront d'autres visites guidées (ponctuelles, par exemple à l'occasion des Journées du Patrimoine ou des Olivettes occitanes), des conférences puis enfin les écrits disponibles chez Cap Copy (Clermont-L'Hérault qui es-tu ? , Une rue, trois noms, des commerces et Lieu-dit Le Repos Eternel).

Un autre gros chantier de Brigitte, sa rue Frégère: mon travail est fait pour montrer d'une manière vivante aux clermontais que la ville possède un passé pré-industriel: à partir du XVIIIème siècle, les fortunes se font et se défont avec l'activité du drap. D'après ce que l'on sait, très vite le bourg de Clermont a été trop petit et la population a commencé à s'installer hors les murs vers la Place Saint-Paul mais aussi la Frégère qui vont devenir les faubourgs au XIVème siècle, terminés par des portes aujourd'hui disparues. Quand au XVIIIème siècle les manufactures de draps se sont installées hors les faubourgs, donc après la porte de la Frégère, le quartier qui s'ensuivit porta lui aussi le nom de Frégère, certaines rues adjacentes gardent d'ailleurs des noms évocateurs: rue des Tiradous, des Etendoirs, des Rames mais aussi la récente place des Manufactures.... Intra muros c'est l'artisanat qui se développe: menuisiers, cordonniers etc pour ensuite fin XIXème mais surtout au XXème siècle laisser la place aux commerces et faire de la rue une des plus commerçantes de la ville. Quand j'étais enfant on pouvait trouver une pharmacie, des épiceries, un bazar, une boucherie, une boulangerie, un photographe, un café, un magasin de cycles, un de chaussures... On aperçoit encore aujourd'hui sur les façades des intitulés des anciens commerces. Hors le bourg, c'est l'industrie qui tourne au charbon (comme à Villeneuvette) qui s'impose.  

Par ailleurs, la Frégère chère à Brigitte a bien changé depuis et de gros problèmes d'incivilités se sont posés dans cette rue où j'ai grandi, j'ai donc décidé après avoir adhéré à une association crée pour l'occasion de faire paraître l'Echo de la Frégère, un petit journal, en partenariat avec une personne qui a ouvert au même moment un petit magasin de brocante et de graphisme, devenu rapidement un lieu de rencontres. Six numéros de janvier à juin 2012 ont dit l'essentiel, maintenant c'est aux gens de voir, de dire et de faire. C'est par ce biais que j'ai aussi rencontré des voisins, peintres, sculpteurs ou photographes, d'où le 21 juin dernier une exposition qui les réunirent dans un local prêté pour l'occasion. Multiplier ce genre d'animations créera, après avoir suscité de bonne choses, peut-être une émulation qui sait ?

Pour revenir à Clermont et son passé en général, quelques personnages ont émaillé son histoire, saviez-vous par exemple que Louis III de Guilhem, dernier représentant de la célèbre famille, figure dans des récits de Saint-Simon et Madame de Sévigné ?  Qu'au XVIème siècle, Pierre Ier devint lieutenant puis conseiller et chambellan du roi ? Qu'un hôtel de Clermont existe à Paris ? L'histoire de Clermont, somme toute moins "prestigieuse" que celles d'un Pézènas ou d'une Lodève qui voient figurer des personnages exceptionnels, va toujours se démarquer grâce au commerce. La ville, carrefour des routes qui relient Saint-Pons, Agde, Béziers et Montpellier, est en effet d'importance. Au XVIIème siècle l'industrie drapière est notamment en essor (Villeneuvette) jusqu'au milieu du XIXème siècle puis le passage au transport ferroviaire amène la ville à se lancer dans la course à la viticulture qui explose, puis au commerce du raisin de table. Aujourd'hui le tourisme est au beau fixe grâce entre autres à la création du Lac du Salagou et la proximité de l'A75.

Le cas des noms des rues est aussi très intéressant la république l'emporte souvent sur la religion qui cède la pas au XIXème siècle: après les statues du Griffe et de la Marianne, après des inscriptions sur les bâtiments publics, il y a maintenant (depuis 1888 et le maire Alphonse Ronzier-Joly) les rues Liberté et Egalité à côté de celle de la Fraternité, dont l'appellation est plus ancienne d'un siècle. Un grand nombre de personnages chers aux républicains voient également leur noms dédiés à des rues.   

Le passé essentiellement commercial de la ville (tannerie / drap puis vin / raisin) est encore notable aujourd'hui dans les archives: si en 1790, en pleine tourmente révolutionnaire, un clermontais Lugagne-Delpon crée la première banque clermontaise, c'est parce que la ville est un grand lieu d'échanges. La plus ancienne tradition mentionnée depuis le XIIème siècle n'était-elle pas le marché ? Et apparemment déjà le mercredi ? Encore aujourd'hui, cette petite ville de 8000 habitants a encore huit banques ce qui est relativement rare !

Pour finir, saviez-vous que trois des lions de bronze qui ornent le pont sur le Rhônel entouraient à l'origine la Marianne ? Qu'une église se trouvait et se trouve encore dans la rue René Gosse ? Saurez-vous la situer ? Merci aux personnes comme Brigitte qui font vivre la mémoire de la ville de manière amusante et érudite ! 

* Abbé Durand: Histoire de Clermont, 1857

© GED Ω - 01/06 2014

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