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01
Oct
2018

[Publié à l’origine dans Punk Rawk 2018 - Intégrale]

On pense avoir fait remarquer à notre lectorat avec nombre de chroniques 1 que les messins de 1984 sont à notre sens un des groupes les plus intéressants dans un domaine punk rock sombre option street / oi! de haute volée. On a échangé avec les musiciens en octobre 2018, peu après la sortie de Never forget, et on est rassuré, non seulement les mecs sont cool, réactifs, ils ont en plus le ciboulot qui fonctionne très bien, bonne lecture et faites tourner ! Manu (basse / chœurs) et Nonna (chant / guitare) à la barre !

 

Pour ceux qui ne connaissent pas le groupe : malgré une forte personnalité aisément identifiable, 1984 semble en être resté au punk rock vintage de la charnière 70/80 sans pour autant avoir ignoré les vagues suivantes et successives. Manu acquiesce : « On est tous fans des groupes de cette période et particulièrement des groupes anglais, ce sont nos racines. Des groupes comme UK SUBS ou STIFF LITTLE FINGERS ont changé nos vies, ça dépasse le cadre de la musique. Pour autant, on ne reste pas figés dans le passé. On s’intéresse toujours autant à cette scène et les groupes actuels ne font que raviver la flamme ».

 

Comme pour nombre de groupes légendaires outre-Manche, désillusions / espoirs déçus (Failure, Past and lies…), nostalgie / regrets (Skinheads, I said nothing, Never forget, Just a look…), mélancolie (Dreary day…), constats amers (Pretend, Night in Hell…), on ne peut pas dire que la majorité des textes de 1984 soient très gais, est-ce le climat lorrain, la région, son passé détruit / en suspens qui poussent à cette vision grise / noire de la situation ? Quand on y réfléchit, à part du côté de langue, la démarche d’un CHARGE 69 n’est pas si éloignée de celle de 1984, peut-être l’a-t-elle même influencée rapport à la proximité géographique ? Pourquoi avoir fait le choix de l’anglais ? Manu ironise mais confirme : « A défaut d’avoir un bon psy, on a monté un groupe… Les textes parlent de nos échecs, nos peurs, nos frustrations, nos haines. A coté de ça, tu ajoutes en décor des usines en ruines, des bunkers désaffectés et un climat à ne pas foutre un chien dehors. 1984 est un mélange de tout ça ». Il ajoute : « Pour CHARGE 69, les racines sont identiques. On s’est tous pris une grosse claque avec leur premier album, ça nous a forcement influencés par la suite ». Quant au langage choisi, il ajoute « On ne s’est jamais vraiment posé la question, l’anglais est venu naturellement. Le punk c’est l’Angleterre, fallait que ça sonne British! ». Pour Nonna, « Tu es fatalement marqué par le lieu où tu as grandi et effectivement la Lorraine a un passé qui n’est pas des plus joyeux… C’est une ancienne région sidérurgique, donc oui un côté gris… Il y a aussi tout le passé militaire, la période d’annexion… Des vestiges de forts, du béton, de la ferraille, des champs de batailles… Mais il y a aussi notre histoire à nous, nos expériences, nos peurs, nos angoisses… Le groupe est un exutoire… Il nous permet de nous libérer de tout ça. Je ne sais pas si CHARGE 69 a influencé notre démarche, en tout cas c’est un groupe qui a certainement influencé notre musique… Il y a quelques années, c’était un groupe phare de notre région, un groupe inévitable dans l’Est… Et leur album Apparence jugée est une de nos références ! Si on s’est tournés vers l’anglais c’est pour plusieurs raisons, d’une part 80% de ce qu’on écoute est en anglais, ensuite, la langue anglaise est intrinsèquement musicale, ce qui facilite le chant… Bref… Ça sonne !!

 

1984 n’est pourtant pas du genre à se résigner, les appels à réactions (Revenge, Say it, Fight for your rights…), la recherche d’une sortie du tunnel (Another life, Harry, No joy…) et les bons souvenirs (I remember, Still today…) sont aussi au programme, le carpe diem et la lutte seraient-ils donc les seules façons de vivre vraiment ? Manu, encore : « Depuis le début, on s’accroche car on y croit ! Donc non, on ne se résigne pas, on se bat ! C’est notre seule façon d’exister, de nous exprimer et d’avoir un semblant de liberté dans une société qui nous tire vers le bas et nous tue au travail. Notre haine, c’est notre énergie ! », Nonna ensuite : « Mais c’est ça le punk ! Le " no future " c’est si tu te résignes, mais si tu es prêt à affronter les épreuves, tu peux changer les choses, ou au moins changer ta vie ! Carpe diem… Oui et non… Oui il faut profiter du moment mais pas sans penser au lendemain, loin de là. Quant à la lutte… Si je dois retenir une chose de mon éducation, la vie c’est " marche ou crève ". Mais je te rassure on a quand même des bons moments et heureusement d’ailleurs ! »

 

Pour revenir un peu à la musique, on note qu'à l’inverse de beaucoup, 1984 base ses albums sur l’efficacité, des demi-heures pleines de tubes valent mieux qu’une heure vingt dont la moitié au moins de remplissage. L'écoute nous le souffle : le choix des morceaux se fait visiblement en rapport avec leur futur live et Nonna va dans ce sens : « Effectivement pour nous la qualité prime sur la quantité. On ne garde que ce qu’on juge le meilleur dans ce que l’on compose. Quand on écrit un morceau, on pense avant tout à ce que ça donnera sur scène, on ne veut pas être un groupe de studio, la scène est importante pour nous, on veut partager avec le public ».

 

Autre facette du groupe, le visuel a de l’importance pour 1984 et des personnages mythiques (Ben Hito) ou très douées (Marc Olivier Thomas, Ferraille et Béton…) sont venues mettre leur grain de sel dans les différentes sorties, et Nonna dévoile les réflexions du groupe quant à la dématérialisation de la culture, de sa facilité et du coup aux travaux d'illustration : « Le visuel est au moins aussi important que le contenu d’un disque. Quand tu t’approches d’un bac de disques et que tu découvres un groupe, la première chose que tu vois…c’est la pochette !! La dématérialisation de la culture, c’est à double tranchant. D’un côté, ça permet un accès facile mais d’un autre côté, il n’y justement plus cette démarche de recherche. On passe d’un statut actif à passif. Et puis tout va de plus en plus vite… On est dans un monde où la quantité prime sur la qualité. Je pense qu’on dirige les travaux d’illustration à l’instinct et de manière spontanée. C’est ce qui s’est passé avec le premier album, Marco a fait une bonne photo et Ben Hito a su créer une superbe pochette autour, simple...efficace ! On a adhéré tout de suite ! En général quand on se pose trop de question c’est que cela ne va pas le faire ». 

Mais au fait, avant d'oublier, une décade de souffrance, vraiment ? Pourtant les messins cumulent depuis leurs débuts en 2007 un paquet de dates avec des groupes prestigieux (STREET DOGS, OUTCASTS, PETER AND THE TEST TUBE BABIES, KOMINTERN SECT, SHAM 69 et on en passe…), il y a forcément ci-dedans de bons souvenirs au milieu des moins bons, et même l'espoir, la reconnaissance aidant, d'ouvrir pour des groupes fétiches du groupe ? Ces messieurs rêveraient d’ouvrir pour un groupe, on serait de savoir quel est le premier qui passerait par l’esprit, et pourquoi ? Nonna enchaîne : « Tu sais, dans un groupe, il y a ce que le public voit et il y a tout ce qu’il y a derrière… Beaucoup de travail, beaucoup de déceptions, une vraie torture psychologique parfois… On garde de bons souvenirs de certains groupes avec qui on a eu la chance de jouer. Les OUTCASTS par exemple… Des légendes…des mecs en or… Humbles… Récemment aussi, KOMINTERN SECT, les gars sont super sympas, super simples… Pour les rêves, au hasard… Le CLASH… Mais ça va être compliqué… Non, plus sérieusement les STIFF, ça le ferait. On est fans, c’est une influence majeure ! La hargne, la mélodie...un putain de groupe ».

Pour conclure « Ne jamais oublier » ? Mais quoi au fait ? Pour Manu : « Never forget, c’est le titre qui ouvre l’album. Le morceau parle des ouvriers italiens, maghrébins, polonais etc. qui ont quitté leurs pays, leurs familles et leurs amis pour venir travailler dans les usines et les mines de Lorraine et d’ailleurs souvent dans des conditions précaires. C’est l’histoire de mon père ainsi que celle du père de notre ancien guitariste, Dom’s, qui est décédé il y a peu (repose en paix Zep). C’est un hommage à tous ces gens, aux héros de la classe ouvrière, à ces personnes qui ont sacrifié leurs vies pour que leurs enfants ne manquent de rien. Donc, oui, n’oublie jamais, n’oublie jamais d’où tu viens, et n’oublie jamais que toi aussi, un jour, tu peux être migrant… Et Nonna de conclure : « Ne jamais oublier tous ceux qui se sont battus pour avoir ce qu’on a aujourd’hui ! C’est le devoir de mémoire, c’est important ! »

Liens utiles et nécessaires :

http://nineteeneightyfour.fr/

https://www.facebook.com/Nineteen-Eighty-Four-Official-110680560625848/

https://www.youtube.com/user/1984warzone/videos

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