InterviewsLes propos des interviewés n'engagent que leurs auteurs.
27
Avr
2015

Malgré les habituelles bourdes de la SNCF

(je l’ai déjà dit dans A fond de train(s), et oui c’est de l’autopromo : TER = Très en retard…), le certain décalage qui en découle, les indélicats qui veulent une dédicace sans participer à la soirée, le one-man-show qu’on doit enchaîner direct (voir Jean-Pierre Mocky à Bédarieux, Ciné 3 le 24/04/15), le repas qui suit puis le retour au cinoche pour la vraie dédicace, il faut se taper en plus l’interview d’un grand patibulaire tatoué… Jean-Pierre Mocky est un vrai professionnel et visiblement une force de la Nature, il est à peu près minuit quand on lui fait part de cette inquiétude, on n’a jamais compris QUI censurait ses films, ni dans quel but, d’autant que systématiquement le cinéma de Mocky est primé, respecté voire révéré par tous, des plus "grands" aux plus "petits"…

"Vous savez, dans ce métier, la franchise des réalisateurs, la lutte contre l’hypocrisie est malheureusement quelque chose de très mal vu. Quand vous voyez un dame habillée comme une conne, vous êtes obligé de lui dire "pas mal ta robe", quand vous voyez un politique, vous êtes obligé de dire qu’il est très bien… Moi je lutte contre ça, je voudrais que tout le monde soit franc. Mais le fait de dire aux gens ce qu’ils sont et les conneries qu’ils font vous attire automatiquement des ennuis. La société est hypocrite, pas forcément par méchanceté mais bon, on regarde un handicapé sans vraiment s’y intéresser, on laisse les enfants crever de faim dans la rue… Pendant ce temps, des gens qui ont gagné beaucoup d’argent n’ont pas vraiment envie d’aider tous ces gens, c’est curieux. Ils ne me financent pas non plus d’ailleurs, je suis obligé de travailler seul avec ce que je trouve, le monde est ainsi fait. On est assez isolés, c’est comme ça que les RimbaudBeethovenModigliani ont été mes exemples car ils n’ont jamais été aidés. Quand un artiste critique ou se détache de la société, il se retrouve seul. C’est pourtant cette minorité qui crée des choses intéressantes, n’est pas obligée de faire des trucs formatés comme Frank Dubosc ou Dujardin. Souvent, ces gens-là, qui ne sont pas si cons, sont gênés vis-à-vis de moi, l’air de se dire "il a raison mais on ne peut pas se permettre de faire ça".

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Pourtant nombreux sont les acteurs prestigieux (Mocky parle de "182 vedettes") qui sont apparus dans ses films, de tous les bords politiques, ça donnait parfois des affiches comme Un linceul n’a pas de poches avec des communistes, des FN, des centristes etc., tous unis par le film. Et par un réalisateur qui n’hésite pas à se servir des acteurs pour de la pure composition, contrairement aux "faiseurs" qui reproduisent quatorze fois le même schéma par exemple dans le genre comique.

Franchement BourvilBlanche ou Serrault chez Mocky c’est quand même autre chose que le reste de la filmographie non ? Dommage que les acteurs en général ne mettent pas souvent la main à la poche pour de la coproduction, pour quelque raison que ce soit : "Villeret m’a aidé, Michel SimonSerrault aussi… Après il faut aussi voir que certains ont faussé leur carrière, Dujardin, que j’aime bien, vient d’une connerie télé alors qu’il aurait pu faire quelque chose de grand mais est parti avec d’autres vers un cinéma qui dans dix ans n’existera plus, c’est arrivé à une autre époque à Brialy que j’aimais beaucoup aussi". Aujourd’hui il y en a marre de toutes ces comédies montées pareil avec les duos d’acteurs comiques, le mari trompé ou l’handicapé faire-valoir qui ne déclenche AUCUNE réaction envers le sujet du film, mettons le handicap. Quelqu’un verse-t-il, gigantesques bénéfices obligent, quoi que ce soit à la recherche, à l’aménagement ou l’accompagnement des publics concernés ? C’est le sujet d’un film, Jean-Pierre je vous en prie ! 

Il y a aussi le problème d’une éthique qui n’existe plus : "Clint Eastwood me disait au téléphone que maintenant aux Etats-Unis ils le prennent pour un salaud parce qu’il a abattu un enfant (dans American sniper) et qu’il ne savait pas s’il pourrait faire un film de plus, ils ont été très durs avec lui. ". Il faut dire qu’on ne pourrait pas trouver de climat plus malsain, entre bien-pensance crasse et xénophobie qu’en ce moment, par exemple en France… "je ne fais pas de film sur le racisme car je considère que le racisme ne devrait pas exister, même chose avec les camps de concentration, il ne faut pas en faire une source de bénéfices. Je me suis disputé avec Roman Polanski qui est un de mes meilleurs amis, en lui demandant ce qu’il allait chercher dans ce charnier, et puis tout ce pognon sur les morts… Je trouve que c’est assez lâche de faire des films sur des sujets aussi graves que le handicap ou la Shoah. A part bien sûr Lanzmann et Alain Resnais qui ont eu raison de faire ces documentaires (Shoah et Nuit et Brouillard)". Remarquons aussi que le foisonnement, parfois pas très sincère, donne voix à des Dieudonné : "Je le connais depuis des années, en fait s’il est comme ça, c’est qu’il a été martyrisé quand on lui disait qu’il n’était pas noir, mais pas blanc non plus, il a fait exactement comme tous ces ouvriers qui ont adhéré au Front National : parce qu’on les a laissés tomber pendant longtemps. Je ne vais pas défendre Dieudonné parce que je vais encore passer pour je ne sais pas qui mais il n’est pas méchant, je le connais. Mais bon il a dérapé". 

Parlons plutôt des acteurs merveilleux de l’univers mockyen. Particulièrement de ces "gargouilles" (on pense ici à Jean-Claude RémoleuxAntoine MayorJean Abeillé et tant d’autres…), "dans une salle comme celle-là on peut trouver des rôles, le cinéma c’est des portraits où on doit pouvoir retrouver la vie, les acteurs sont tous surfaits mais prenez un charcutier, ou un catcheur… C’est moi qui ai donné ses premières leçons de comédie à Lino Ventura sur Le Gorille vous salue bien, il sortait du catch et il ne connaissait rien, il ne savait même pas phraser, il ne savait rien faire, c’est moi qui lui apprenais, je passais des heures avec lui, je suis resté très ami avec lui mais on n’a jamais tourné ensemble curieusement. On trouve des gens formidables dans le public. Un jour il faudrait que quelqu’un redresse tout ça, moi je ne peux pas le faire car je suis trop vieux, il faudrait un ministre de la Culture qui appuie les projets intéressants, j’en avais même parlé à Hollande que je connaissais avant qu’il soit président mais il n’a rien fait, son gouvernement a nommé des connasses, on se demande pourquoi c’est toujours comme ça. Pourtant il n’est pas con Hollande. Et dire que je lui ai présenté Julie Gayet, qui aurait cru à la suite ?!" 

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Pour finir, on avouera avoir préparé 35 questions et certaines zones d’ombre subsistent : comment parvient-on à gérer la double casquette acteur / réalisateur, n’a-t-il pas eu à un moment la sensation d’avoir loupé le coche acteur - plus "facile"  - pour celui de réalisateur, marié à treize ans et père de dix-sept enfants, n’y avait-t-il pas là matière à un biopic dingue, en aimant tellement les animaux (qui hurleront peut-être à sa mort comme dans le final de L’Ombre d’une chance) pourquoi pas un film autour d’un véritable animal, peut-on expliquer le paradoxe mockyen par excellence : réalisateur engagé mais pas militant (vient de militaire…) / allergique aux religions organisées mais pas à l’idée de Dieu / être suprême ? Il aurait sûrement fallu quelques heures de plus, merci tout de même à Jean-Pierre Mocky pour ce moment, ainsi qu’à Vaïana et Jérôme du Ciné 3 !

 

 © GEDΩ- 08-05-2015

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