24
Avr
2022

Tu sais, oui tu sais, puisque je te l’avais dit, que j’ai perdu mes grands-mères dans des circonstances particulières,

que j’en avais choisi de nouvelles, ma Marie-Jo est partie il y a peu, et le coup de couteau dans les tripes a été rude, mais je ne sais pas pourquoi Marcelle, je te pensais plus forte que tout. Plus forte que les soubresauts de l’Histoire que tu m’avais contés, plus forte que crapahuter partout seule quand la société louait encore une certaine masculinité qui dans le voyage semblait une normalité, plus forte que le temps normand qui ne t’empêchait de rien. Et pourtant la jeune Saint-Jo’ a beau faire sa maligne et rester debout quand toi tu t’en vas, c’est un momument de la ville dont je vais devoir me passer, un petit café à tes côtés.

Chère Myrtille, car je sais que tu n’es pas loin dans mes pensées, il faut bien se la rappeler cette journée folle où une jolie grand-mère nous avait mis cartable quand le temps du digestif fût venu, que le fameux « jus de fruit » m'avait transformé comme jadis l’herbe de Lucky, en zombie plus mort que ceux des films que je passe et repasse. Et quand bien même les chutes de lit étaient du programme, les éclats de rire de cette bretonne s’additionnaient pour un tableau digne d’un flamand du Seizième ! Une brandade, des harengs, qu’importe donc le poisson pourvu qu’on ait l’ivresse, les larmes d’aujourd’hui dessalent une mer entière, aujourd’hui je perds amie, je perds surtout grand-mère.

Je pense à Romane et Laurent, je pense à tous tes amis, je pense à tous ces jeunes qui étaient tes égaux, je pense à tous ces vieux qui ne sauront jamais, la source de jouvence n’est pas dans toutes les veines, je me suis sans dents pointues abreuvé aux tiennes, ton sourire et tes yeux ont tué la Mort, il fallait bien qu’elle se venge.

Je n’ai rien trouvé de mieux que la chambre de ma fille pour laisser couler mes larmes, je vais cueillir des fleurs, les poser où je veux, car tu es partout dans mon cœur, la danseuse d'à côté n'aura jamais ta vie, tu ne verras jamais la  vilaine France des urnes, d’Hermès désormais tu chausses les cothurnes, de l’un à l’autre évoquant un bon souvenir, tu me manques déjà, je t’aime, vivre et déjà mourir.

 

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