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Les étoiles évaluent le plaisir ressenti à la découverte des œuvres, rien à voir avec une quelconque note ! |
[Publié à l'origine dans C Le Mag N° 120 - Director's cut]
"Allons fous de la cité, allons baiser la Mort !!", cette Mort qui vient, sous la forme d’un foutu cancer, de prendre sa femme Nicole à Druillet en 1975, il fait d’ailleurs sa fête au monde hospitalier de l’époque dans une préface sauvage.
Enfin rééditée et présentée dans sa version d’origine avec la vraie couverture en lieu et place de l’horreur absolue qu’arborait l’édition de chez Albin Michel, La Nuit est l’épopée post-apocalyptique de motardo-keupons déglingos (Mad Max et ses innombrables resucées lui doivent tout) qui vont à toute berzingue embrasser le mur dans une ambiance hallucinante de violence graphique inédite, bienvenue (?) dans un ébouriffant voyage au bout de la mort après une fureur de vivre terrible et la défonce la plus totale. Le texte des dialogues est épuré au point de ne pas comporter pour la plupart du temps de véritables phrases mais des mots hachés, balancés nerveusement par un personnage à la face d’un autre, le nihilisme qui se dégage de cette extraordinaire oeuvre continue de fonctionner quasiment quarante années plus tard, le dessin, bien que correspondant à son époque, agresse toujours la rétine aussi fort, des splash-pages explosives évoquent ce qu’un Bosch aurait pu commettre en 1976 en descendant de la machine à voyager dans le temps ou un Gustave Doré halluciné et punkoïde armé d’une palette au vitriol. Défouloir désespéré, La Nuit de Druillet explose en un NO WAY abrupt, personne n’échappera à sa colère punitive, définitivement CULTE !!! Ultra-recommandé à ceux qui ne connaissent pas cette bombe graphique.
Mausolée déviant entièrement dédié à la gloire de la disparue Nicole (intégrée sur les dernières planches, mais aussi sanctifiée en dernière page en face d'une citation de Baudelaire), La Nuit se voit désormais éclairée d'un angle inédit par la publication presque simultanée de ses mémoires chez Les Arènes, Delirium, qui reconstitue la construction progressive d'un artiste, mais aussi l'autodestruction d'un homme entamée par ses propres parents. Philippe Druillet (dont le prénom est un hommage à Philippe Henriot, ponte de la Milice et éditorialiste virulent pendant l'occupation allemande), jeune garçon devant grandir malgré l'éducation de parents fascistes et collabos, condamnés par contumace avant d'aller embrasser les joies du franquisme. Par moyen détourné, La Nuit en est un rappel, lorsque sous une architecture massive, grandiose et écrasante, les visions cauchemardesques de sauvages motorisés répondent au totalitarisme de forces infernales et cannibales ravageant et contaminant les survivants autant que la mise en page d'une BD requiem, totalement nihiliste. Pourtant, dans ces pages où tout se déconstruit, pourrit, vomit, éructe, apparait la force de création, une énergie farouche qui laisse affleurer comme une pointe salvatrice, un anarchisme libertaire, une ironie déglinguée reflet de la tragique condition humaine. Nous allons tous crever ? Oui, et alors ?
72 pages en couleurs, 18 € - ISBN: 9782344000205
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