Chroniques Blu-Ray
28
Fév
1999

Les étoiles évaluent le plaisir ressenti à la découverte des œuvres, rien à voir avec une quelconque note !

Genre : vrai faux vampire

Scénar : en 1874 en Transylvanie, une étrange cérémonie a lieu : un homme masqué plante un pieu dans la poitrine d’un cadavre avant de le recouvrir de terre. Bien sûr, c'est la seule façon d'empêcher le retour d'un vampire parmi les vivants. L’assemblée est pourtant surveillée, et un affreux bossu attaque le fossoyeur. À l'auberge, la fête bat son plein jusqu'à ce que l'individu difforme vienne gâcher l'ambiance. Il est venu chercher le docteur, déjà passablement saoul, mais celui-ci a l'habitude, le « vampire » est plus malin que ceux de la légende, il conserve à part son cœur dans une machine qui continue à le faire battre. Mais quand le docteur commence à jouer les menaçants s'il n'est pas payé davantage, le bossu s'en débarrasse. Six ans plus tard, un procès a lieu et un médecin est condamné au pénitencier à perpétuité pour erreur professionnelle alors qu'il jure n'avoir fait qu’appliquer les protocoles. S’apprêtant à l’épouser, sa fiancée jure d'aller chercher la preuve qu’un faux témoignage a eu lieu. Bizarrement, au lieu de partir enchaîné à la lie de la société, le médecin est embarqué dans un carrosse conduit par le bossu et se retrouve dans un asile de fous criminels placé sous la coupe d'un certain docteur Callistratus, qui se trouve en fait être le « vampire ». Si le prisonnier a été envoyé dans ses griffes, c'est tout simplement parce que son concept révolutionnaire de transfusion de sang intéresse son geôlier au plus haut point. Il l’engage à travailler dans son laboratoire sans laisser rien paraître mais la fiancée n’a pas renoncé à sa quête de vérité.

En 1958, la société anglaise Hammer Films frappe un grand coup avec Le Cauchemar de Dracula qui suit de près le non moins légendaire Frankenstein s'est échappé (1957) lui aussi réalisé par le talentueux vétéran Terence Fisher. Le patrimoine fantastique Universal y est - prudemment - revisité par les britanniques qui redonnent un coup de fouet au genre gothique, dont le pays et ses descendants des Amériques ont été pendant des siècles (au moins depuis Walpole à la fin du XVIIIème siècle) de grands pourvoyeurs : on peut citer pour faire court et dans le désordre Ann Radcliffe, Mary Shelley, Charles Brockden Brown, Charles Robert Maturin, Matthew Gregory Lewis, Edgar Allan Poe, Bram Stoker et tant d'autres. Bien sûr, comme toujours, des boîtes de production concurrentes vont s'inspirer, pour parler gentiment, des sorties successives de ces classiques pour proposer les leurs, parfois pas loin de les égaler avec de moindres moyens mais un sens inné de la mise en scène et du cocktail victorien et sulfureux, sexy et sanglant, coloré et souvent fantasque. Mais tous ne vont pas n’être que d’énièmes suiveurs, l’histoire montre même qu’une idée commune peut fuser dans des tronches différentes, par exemple à propos du film d’épouvante à l’aube des Sixties. Pas toujours de l’exact même lignage, des américains (Roger Corman et ses disciples), des italiens (Mario Bava, Riccardo Freda), des français (Georges Franju) vont faire éclore de sacrées fleurs du mal sur les grands écrans du monde. En attendant, revenons à ces lugubres britons qui nous concernent.

Quasiment au même moment, on peut même dire un tout petit peu avant la deuxième salve Hammer, les techniciens-producteurs Robert S. Baker et Monty Berman, fondateurs de la société Tempean Films, s’acoquinent avec Jimmy Sangster (bossant en électron libre à la fois pour la Hammer et d’autres sociétés et chaînes de télévision) pour qu’il leur ponde un scénario épouvantastique. Celui-ci va s’avérer savoureux puisqu’on n’y trouvera aucun vampire authentique mais bien un savant barge et anémique, et donc « obligé » de se fournir en sang, finalement plus dans la veine (ha !) d’un Frankenstein - ZE science-fiction - que d’un Dracula - fantastique jusqu’au bout des canines -. Achtung toutefois, ce n’est pas pour autant que l’on ne retrouve pas le gothique par excellence : tout est là, les décors de vieilles pierres (avec inclusions de peinture ou de maquettes typiquement craquantes) et les superbes couleurs d’éclairage, les maquillages affreux (le serviteur sadique Karl et son œil au plat est le plus marquant de tous, heavy-demment !), les squelettes, la chair (pourquoi pas lacérée, manière d’ajouter le fumet de la viande à celui du raisiné ?!), de la terre fraîchement retournée, des cris aigus et des chaînes rouillées, mais aussi des expériences « dignes » des nazis, tout ça embaumé dans une très belle musique sinistre mais terriblement vivante signée Stanley Black. Qui aurait peut-être même mérité un CD pour remplacer ce DVD death-y-dément inutile quand le blu-ray est dans la place, un lecteur unique pour tout format ne coûtant plus grand chose.

Le Sang du vampire a donc tout d’un grand film, est même souvent considéré avec justice comme l'un des meilleurs d’une époque pourtant fertile. Ce film est effectivement très sombre (parfois même gore s’il est comparé à d’autres métrages de l’époque, des années avant les exactions hémoglobiniques de Hershell Gordon Lewis), se livre à une fin particulièrement invraisemblable mais dans l'esprit de l'histoire qui fait sûrement la différence avec les resucées vampiriques et les résurrections de puzzles de chair. Et quel casting pour l'interpréter ! Comment se fourvoyer avec un acteur exceptionnellement adéquat pour ce rôle de savant fou (l’acteur de théâtre respecté Donald Wolfit est vraiment excellent - de quoi se demander si sa réputation de méchant homme ne l’a pas aidé dans ce rôle mythique - , on peut aussi croiser sa sale trogne dans L’Affaire Dreyfus, Trahison à Athènes, Les Mains d’Orlac, La Marque, Lawrence d’Arabie ou La Charge de la brigade légère…), une belle et inflexible Barbara Shelley qui n’est pas une inconnue des cinéphiles avec ses apparitions dans Le Village des damnés, La Gorgone, Raspoutine, le moine fou…), l’acteur somme toute faussement effacé Vincent Ball (Le Mouchard, Quand les aigles attaquent, La Bataille du rio de la Plata…) et le pour toujours méconnaissable Victor Maddern (carrière au très long cours, notamment à la télévision) à cause de son maquillage déjà évoqué ? Et quand on connait l’odyssée de ce film, on est ravi de pouvoir en dévorer la version intégrale et ce en haute définition, argh !

Bonus : diaporama d’affiches et photos très fourni, présentation du film par Nicolas Stanzick (33’), « Le vampire Callistratus », entretien avec Alain Petit (37’) qui signe aussi le livret de quatre-vingts pages « L’Âge d’or du British Gothic », superbement illustré comme dans chaque volume de la série de médiabooks de l’éditeur. Alain a le chic de faire coïncider grande et petites histoires en glissant des anecdotes de sa propre adolescence face aux grands problèmes de la censure qui régnait à l'époque, surtout à propos ce qui dépassait un petit peu de la braguette ou du décolleté, tout ce qui saignait un petit peu trop avec parfois des aberrations : face à des problèmes similaires, on statuait oui pour les uns, non pour l'autre, peut-être peut-on soupçonner un tri à la tronche du client ou du distributeur pour décider du sort de tel ou tel film qui perdait du même coup une partie de son public, pourtant enthousiaste, ce jeune Alain en étant le témoin ? Il retrace aussi pour nous les parcours croisés des protagonistes du film mais aussi des producteurs rivaux Hammer, Tigon, Amicus et consorts avec la verve qu’on lui connaît (ceux qui le fréquentent entendent sa voix, unique, long time no see amigo !), cite des tonnes de détails qui vont encore déclencher des recherches de notre côté, toujours plus de plaisirs dans l’encyclopédisme gédien, merci Artus, Alain et les autres, un « futur sans culture » pleurniché par les uns n’est pas près d’arriver avec nous autres, par tous les moyens possibles, la culture lutte !

Infos / commande : https://www.artusfilms.com/british-horror/le-sang-du-vampire-a-334 (1000 exemplaires, deux couvertures différentes, ci-dessous la deuxième !)

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