
[Publié à l'origine dans C Le Mag N° 85]
Tout à fond : Rock for passion, not for fashion !
L'association Tout à Fond, la TAF pour les intimes, est devenue une véritable institution pour les férus de musique en général, rock en particulier: des milliers (!!!) de concerts organisés sur la région montpelliéraine, une salle de concert, un magazine tiré à 40000 copies tous les deux mois, une petite maison de disques et une équipe d'acharnés, voilà quelques aspects à voir plus en détails avec l'homme à l'origine de tout ça, j'ai nommé Fyfy qui nous reçoit à la Secret Place (Saint-Jean de Védas) pour répondre à nos questions malgré des new-yorkais très motivés pour faire leur balance au détriment d'un innocent Dictaphone qui rêverait, poltron, de retourner dans son étui.
Avant de plonger dans les questions techniques il sera bon de faire un bref rappel de l'historique de la Taf, Fyfy s'y colle et raconte : je suis né à Montpellier et j'ai connu à la fin des années 80 et dans les années 90 la vague du punk rock français (OTH, LES SHERIFF, les VIERGES...) et des concerts tous les vendredis, tous les samedis dans des bars de Montpellier-centre et, malgré les inévitables chapelles stylistiques, chacun remplissait les concerts. Après vers 1990 et la fin de nos études, tout le monde est parti à droite et à gauche puis au bout de cinq-six ans on est « redescendus » vers Montpellier et tous nous avons dressé le constat que l'ambiance avait changé : fini les concerts gratuits le samedi au Rockstore, plus de film rock le mardi, presque plus de concerts le soir : le Dinosaure avait fermé ainsi que le Boskop, le Psychodrome, le Doyen, les seuls lieux qui restaient étaient les bars de jour comme Les Capucins ou le Rakan. Comme ils jouent tous plus ou moins dans des groupes, Fyfy et sa bande décident de monter une association et de trouver un local pour les répétitions. Fyfy se souvient : on a trouvé un garage à Vendargues, pour payer le loyer on a commencé par faire une soirée par mois, puis deux, puis trois puis tous les vendredis et samedis. Evidemment, la suite est courue d'avance : ils se sont faits virer pour les habituelles raisons de trop de bruit, pas aux normes et caetera, le scénario classique pour tout musicien qui se respecte. Après ça pendant un an et demi ils cherchent, non sans difficultés, un nouvel endroit jusqu'à trouver, à Saint-Jean-de-Védas, celui qui allait devenir la désormais célèbre Secret Place. Depuis 1999 et contre vents et marée, l'aventure continue. Mais si vous croyez qu'entre le premier garage et la Secret Place les activités avaient cessé, c'est une erreur, quand mes souvenirs se mêlent à la conversation il en ressort par exemple qu'une bonne centaine de concerts de tous styles a été organisée au Rockstore ainsi que dans d'autres salles. Pour payer les frais d'installation à la Secret Place des concerts sont organisés de temps en temps et huit ans seront nécessaires pour venir à bout des travaux ! Ne croyez surtout pas que la TAF a pris son temps : des milliers d'euros ont été nécessaires et au début sans véritable aide, plus tard il y a quatre ans la mairie de Montpellier a mis la main à la poche ainsi que le Conseil Général. Au niveau musical, avec les années la programmation s'est pas mal diversifiée même si le rock (et ses branches metal et punk) reste une priorité : des soirées électro, en partenariat avec le légendaire label électronique indépendant Pinguins Records lui aussi natif de Montpellier, des plateaux hip-hop, reggae ou chanson et de nombreuses autres soirées où des organisateurs montent leurs propres affiches avec le soutien de la TAF qui propose souvent pour un prix modique une prestation « clé en main ».
Un des objectifs les plus importants est de fidéliser un public à un lieu « comme c'était le cas par exemple au Rockstore il y a longtemps avec son tatoueur, son restaurant, sa radio, son fanzine (le Rock stories) qui créait une émulation autour de lui avec toutes ces activités, en particulier la radio qui drainait tout un public. Par exemple Lenny Kravitz a fait une de ses premières apparitions à Montpellier parce que son disque tournait en boucle sur cette radio. A l'époque il n'y avait pas d'internet et la radio était un média incontournable, tout le monde à Montpellier écoutait Radio Alligator qui était en quelque sorte la radio de la ville. Les concerts gratuits le vendredi était le lieu de rendez-vous, et même après quand la boîte prenait le relais, le public restait pour écouter les classiques du rock et du punk, aux antipodes du cliché de la boîte à boum-boum que l'on imagine souvent. Fyfy poursuit : c'était une autre ambiance mais c'est un peu ce avec quoi on voudrait renouer, un lieu qui réunit toutes les chapelles de par une programmation variée qui va du rock au metal en passant par le garage, le punk, et tous les autres. Car ce public qui a des goûts très pointus a souvent beaucoup de mal à trouver des lieux qui proposent ce qu'il recherche, sans parler du prix de l'entrée et des boissons souvent élevés dans les salles de concerts. Quand on pense à une région très peuplée d'étudiants mais aussi de sans-emploi, on a du mal à comprendre pourquoi certaines salles maintiennent des prix prohibitifs mais ceci est un autre débat.
La TAF, c'est aussi le Tafeur magazine, 40000 copies qui circulent dans le grand Sud, le quarantième numéro sort bientôt mais voilà quelles sont les origines de ce désormais puissant vecteur culturel : à l'époque on avait un fanzine artisanal papier, le Tafeur enragé, photocopié et trimestriel. A la sortie du quinzième numéro, qui coïncidait aussi avec les dix ans de l'asso, le Coca zine (NDG : autre relai culturel très important à l'époque) s'arrête. Le créateur du Coca zine en format poche propose alors à la TAF la parution d'un numéro du magazine sous ce format, la machine est lancée, Yves prend le relai pour la maquette, Coco (issue du Coca zine) s'occupe de l'agenda des concerts dans tout le Grand Sud, et maintenant à la sortie en juin du quarantième numéro, Le Tafeur est distribué sur Marseille, Toulon, Perpignan, Toulouse, en tout plus de mille (!!!) points de dépot. Et non seulement la musique est mise en avant mais pas seulement puisqu'une rubrique sur l'art contemporain a fait son apparition. Fyfy : on montre par là à certaines des personnes qui nous dirigent depuis tant d'années que les fans de rock sont loin d'être les imbéciles avinés qu'ils prétendent connaître. Par exemple sur le Tafeur on peut retrouver Patrick Singh, inconnu à Montpellier alors qu'il a fait la prestigieuse Art School of Harlem à New York, qu'il fait des résidences artistiques au Gabon, au Rwanda, au Burkina Faso. En même temps, malgré une importante reconnaissance internationale, il répète à la TAF avec son groupe MIKE HEY NO MORE depuis 1996 ! Isa qui nous fait la chronique d'art contemporain a bossé au Guggenheim à Bilbao après un DESS mention très bien. Le doyen de la TAF a soixante-trois ans et sort un bouquin sur les FLAMIN' GROOVIES (après d'autres sur les KINKS et les CRAMPS) et est l'ancien directeur de la DRAF ! Ce ne sont que des exemples, chacun dans son domaine est pointu et ce qui les relie tous c'est encore une fois la passion du rock, à l'opposé de l'image des rockers que se font les bobos de vernissages souvent pétris de stéréotypes dignes du cinéma.
En parallèle de leur fanzine, la TAF aide à la production pas mal de groupes amis jusqu'à professionnaliser en 2003 cette activité en créant le label indépendant Be Fast qui en est aujourd'hui à une vingtaines de sorties dont nombre de disques vinyle, le support le plus adéquat pour déguster de la musique si l'on en croit les accros au disque rock. Et l'occasion, une fois de plus, de mettre l'accent sur un esprit underground et artisanal dans le bon sens du terme : des objets soignés et limités pour le plus grand bonheur des collectionneurs de décibels, en particulier les aficionados de BURNING HEADS, LES VIERGES, LA SOURIS DEGLINGUEE, PALAVAS SURFERS, LES CONCUBINS DE LA CHANSON ou encore du vénérable Andre Williams, un américain dont la carrière commencée en 1955 (!!!) se poursuit encore aujourd'hui avec la sortie à la fin de l'année d'un nouvel album chez Be Fast !
Venons-en maintenant à la deuxième édition du festival Holidays in the Sun, dernière station sur notre route du jour. Petit inventaire : des négociations d'octobre 2010 à mars 2011 avec un des plus gros tourneurs français, la réunion de partenaires chevronnés qui mettent la main à la pâte pour monter un dossier de cette taille, et surtout une foi inébranlable ont été nécessaires pour l'organisation de cet événement mais la passion et l'humilité restent entières même arrivé à un tel niveau. Avec un sourire Fyfy avoue si on m'avait dit qu'un jour je parviendrai à faire jouer Brian Setzer je n'y aurais pas cru et pourtant le festival Holidays in the Sun aura bien lieu cet été à Sète, le 5 juillet plus exactement avec donc Setzer (ex-STRAY CATS, accompagné de son compère batteur dans le même groupe Slim Jim Phantom) en tête d'affiche pour un hommage aux classiques de Sun Records (Elvis Presley, Bill Haley...) mais aussi GUITAR WOLF, un groupe rockabilly japonais qui fait très peu de concerts en France ainsi que les artistes français WASHINGTON DEAD CATS, Juliette Dragon (burlesque) et Bo Liddley, une véritable soirée complète donc à partir de 18 heures dans un cadre génial et pas un concert de plus comme les autres. C'est là que, rappelons-le, se manifeste le soutien de la presse au niveau national par exemple avec JukeBox ou Presto mais aussi sur place avec la Gazette ou encore C Le Mag qui font tous un travail de promotion à la mesure de l'investissement du collectif dans ce projet. Et l'on souhaite pour lui que le public se déplace massivement pour applaudir une affiche rare, précieuse que les amoureux de rock vintage se devront de ne pas louper. Rendez-vous donc au Théâtre de la Mer !
Les blogs de l'association à consulter d'urgence pour des reportages, des interviews et toutes les informations nécessaires:
http://tafproduction.blogspot.fr/
http://letafeurmag.blogspot.com/
Epilogue:
Il est triste de constater après avoir passé en revue un éventail d'activités aussi large en place depuis quatorze ans maintenant, sans oublier 6000 adhérents, 490 musiciens qui répètent à la salle, plusieurs salariés, un magazine connu presque partout, que la mairie de Montpellier n'ait jamais pris le temps de recevoir les représentants de l'association et faire figurer leurs événements dans les publications municipales comme c'est le cas pour d'autres lieux. Mais si vous croyez que Fyfy est du genre à baisser les bras, vous avez tout faux, la satisfaction de faire venir jouer de grands musiciens du milieu lui suffirait presque, et le fait que de plus en plus de passionnés se déplacent de tout le sud de la France n'est pas fait pour calmer Tout à Fond !
© GED Ω - 04/05 2014
Ne partez pas sans avoir "aimé la page", retrouvez tous les articles, vidéos et reportages sur votre mur. Soutenez Nawakulture en vous abonnant à la page Facebook et en partageant les chroniques.