InterviewsLes propos des interviewés n'engagent que leurs auteurs.
22
Nov
2013

[Publié à l’origine sur Dead Fucking Church M’Aaagh # X]

Vous venez de passer les dix ans d'existence puisque Luc et Fabro ont monté le groupe en septembre 2003. Avez-vous fêté la chose, par exemple lors d'un concert, de l'achat d'une pièce montée ou d'un cocktail onéreux ? Dix ans après, comment voit-on les débuts du groupe et les progrès accomplis depuis ? Des résolutions prises sur le chemin de la sagesse infinie ?

Olivier : « 10 ans putain ça nous rajeunit pas » (LA RUMEUR). Si on considère qu'on joue grosso modo le même morceau depuis tout ce temps c'est pas mal quand même... Ouais sinon on parle de faire un concert avec des groupes de potes pour fêter ça de manière formelle. Je trouve aussi qu'on est meilleur en concert qu'il y a 10 ans et ça c'est pas mal non plus... POUR DES VIEUX CONS...

Luc : On a toujours eu cette ligne directrice tacite qui consiste à ne pas dévier du style initial, à savoir DISCHARGE, le hardcore scandinave, point-virgule final. Quand l'envie nous prend de jouer des trucs différents, on préfère monter de nouveaux groupes à côté plutôt que d'intégrer des influences audacieuses. Et on ne se gêne pas pour le faire, d'ailleurs. On ne veut pas évoluer, on préfère donner des gifles à coups de riffs et de d-beat. Au bout de 10 ans et une soixantaine de morceaux composés ça devient forcément plus difficile d'en écrire de nouveaux intéressants en restant dans la figure imposée, mais on a gagné en cohésion et en puissance donc ça compense, je crois. Ah ah, pas mal cette réponse, on se croirait chez Metal Obs.

Fabro : 10 ans après, impossible de réécouter la démo du groupe donc oui j'imagine qu'on a fait quelques progrès. Niveau résolutions, je pense que la tournée au Japon en 2011 a été un coup de boost et on s'est dit qu'on essaierait d'être le meilleur possible en live, de lever un peu la tête du manche et de se donner au maximum. Je ne sais pas si on y arrive toujours...

Tous les membres de GASMASK TERRÖR jouent dans d'autres groupes et ont au moins 666 activités annexes, comment arriver à gérer un agenda infernal, voilà une question qui trotte dans le ciboulot ? Comment vous débrouillez-vous pour tourner aux antipodes (Etats-Unis, Japon e tutti quanti) ? Limitez-vous vos activités à la musique ou avez comme (presque) tout le monde un travail chiant avec des collègues casse-burnes et un patron à qui péter les dents équivaudrait au nirvana (Payday) ? 

Olivier : je travaille la moitié de l'année (manutention) et comme ça il me reste l'autre moitié pour faire des tournées. Mais bon je joue dans 6 groupes et c'est un gros casse-tête pour les emplois du temps parce que j'ai une vie privée aussi. Je crois que c'était un deal implicite au début de GASMASK que le groupe allait prendre une grosse part de nos vies aussi, que tant qu'à faire ça autant y aller franchement. Sinon, travailler ça pue ouais.

Luc : J'ai un travail plutôt cool avec un patron plutôt cool et je suis conscient que c'est une grande chance. Les tournées sont régulières, mais restent courtes. Actuellement GASMASK TERRÖR est mon seul groupe actif (si on exclut les occasionnels groupes de reprises dans lesquels je joue, mais ça compte pas vraiment), mais j'ai pas mal d'autres activités : label, organisation de concerts, etc. Aucun de nous n'a d'enfants, c'est aussi une des raisons qui nous permet de rester actifs.

Fabro : J'ai un taff un peu spécial, il reste chiant mais je peux prendre des congés quand je le veux. Ah et mes collègues sont une bande de freaks souvent issus du milieu underground, arty et compagnie.

Les textes semblent témoigner d'une vue somme toute assez désespérée / énervée / amère (Négatif) sur le monde alentour, et le dernier 7''EP 1 continue dans la joie avec une évocation des évènements d'octobre 1961 qui pour rappel mirent en scène le collabo Papon face à une manifestation d'Algériens qu'il se fit un devoir de réprimer très méchamment en jouant aux petits bateaux dans la Seine. Si certains morceaux abordent la politique, vous n'en êtes pas plus des hommes-sandwich pour un bord ou un autre, plutôt des esprits libres même si l'expression fait sourire à force d'être galvaudée, on croise même la littérature / le cinéma (La Guerre des mondes est le plus visible héhé) et surtout une (LA) façon de vivre : le DIY (Day after day). Comment procédez-vous pour construire les textes ? Quelle est leur importance au sein du groupe ? 

Luc : On a un peu tendance à se reposer sur Olivier pour écrire tous les textes, probablement parce qu'il fait ça bien et qu'on n'a jamais – ou très rarement – quoi que ce soit à redire à ce sujet.

Olivier : Le punk devrait être la recherche d'une individualité en combattant l'individualisme et les ambitions personnelles crasses. Alors certaines fois ça veut dire acheter un bouquin à la place d'un pack de bières, c'est aussi ça l'esprit frondeur. Je suis le seul à écrire les textes et jusqu'à présent il y a jamais eu de protestation majeure vis-à-vis de mes écrits de la part de mes collègues de groupe. Pour moi les textes sont évidemment très importants car ils donnent une couleur aux morceaux... Mais bon ça doit parler qu'à moi vu qu'on comprend rien quand je gueule...

Comme la plupart des galettes estampillées D-Beat, toutes les couvertures de vos sorties étaient jusqu'ici ornées de noir et de blanc mais… Que vous est-il passé par la tête pour le fameux 17101961 qui est revêtu…de rouge aaaaaah !!?? On a peur du changement, what happened ?! Volonté de casser cette « image » crust ou juste pulsion sanguine pour coller au concept de cet autre « Octobre rouge » ? Ou rien à péter du tout, c'est le hasard ?

Luc : Une envie soudaine. Et le rouge répond forcément aux paroles d'Octobre Rouge (qui ne parle pas de l'Octobre Rouge auquel on pourrait initialement penser, je précise). A part le logo historique sur la pochette du 1er EP, tu remarqueras qu'on n'a aucune tête de mort sur nos pochettes.

Olivier : Je pense qu'on a toujours fait ce qui nous plaisait, que ça colle ou pas à une esthétique particulière n'a pas d'importance.

Fabro : Ouais et ça va le rouge c'est pas non plus une énorme prise de risque. C'est assez banal comme couleur dans le punk hardcore.

© David Pujol

Les format cassette et vinyle ont indéniablement votre préférence, la seule exception étant le CD discographique 2004-2010 2. Que pensez-vous du retour de ces formats alors qu'il y a quelques années (quelques mois même pour la cassette) on en entendait plus parler que chez nous les cavernicoles de l'underground le plus pur ? Aujourd'hui les labels font leur beurre sur d'innombrables rééditions de leur back-catalogue et en cela ferment également leurs portes à des groupes qui même méritants se voient contraints de se démerder seuls ce qui n'est pas TOUJOURS en leur faveur… 10 dollars la cassette du dernier CARCASS et les zillions de versions LP différentes et j'en passe. S'il y a une clientèle pour ce genre d'attrape-débile, le tsunami de sorties n'étouffera que plus les groupes et labels indépendants non ? Et si on appuyait sur le bouton rouge là tout de suite et K-BOOOM ?

Luc : Les majors qui nous ont bien entubé et s'en sont mis plein les fouilles avec le CD n'ont pas vu arriver ni su anticiper le phénomène du téléchargement et du tout-numérique, du coup la « bulle vinyle » est une aubaine pour essayer de se remettre à flot en ressortant tout leur back-catalog le plus lucratif à des prix exorbitants, avec des arguments de vente fumeux comme « Vinyle 180g » ou « Remasterisé » qui donnent l'illusion d'avoir un truc complètement unique…alors que les mêmes disques, souvent bien mieux masterisés à l'époque, sont dans les bacs à soldes depuis toujours pour le quart du prix. Sans compter les 18 versions dans autant de couleurs différentes avec des bonus-tracks merdiques dans des pochettes mal scannées, pour les collectionneurs fétichistes qui ne vont même pas les sortir de l'emballage. Il y a clairement un phénomène de mode dans le « retour du vinyle » mais faut pas se leurrer, ça reste un phénomène relativement marginal. Le péquin moyen n'a pas l'intention de se racheter une platine vinyle et se contente d'écouter des « sons » (comme on dit aujourd'hui, c'est d'ailleurs assez parlant) sur son iPod ou pire, sur Youtube. On est dans la civilisation de la consommation immédiate et de l'obsolescence prématurée. Aussi vite consommé, aussi vite oublié, ton trouble du déficit de l'attention est entretenu en permanence… En ce qui me concerne je suis assez vieux pour avoir connu l'époque où les CD n'existaient pas encore, mes premiers disques étaient des K7 et des vinyles et le CD ne m'a jamais vraiment séduit. Certains genres musicaux sont toujours restés attachés au format vinyle (punk, rap… beaucoup les musiques électroniques dans les années 90…), et c'est grâce à ce « militantisme » underground de gens VRAIMENT passionnés que certains presseurs ont survécu et que le vinyle connait une deuxième vie. Aujourd'hui ce sont malheureusement eux qui en pâtissent car avec la demande exponentielle, les prix et les délais de fabrication ont explosé (là je parle avec ma casquette de « label manager »). Mais tout ça n'est pas très important au final… On devrait d'abord s'interroger sur notre absurde contribution à davantage de plastique, davantage de pollution, davantage de consumérisme…

Fabro : Ouais, le grand public n’achète plus du tout de disques donc les maisons de disques n’ont pas d'autre choix que de se tourner vers le seul public qui leur reste: les collectionneurs et fans hardcore de musique. D'où ce retour du vinyle à mon avis.

A part une cassette partagée avec BLOODKROW BUTCHER (encore trouvable ?), aucun split - officiel en tout cas - à se mettre sous la dent, est-ce une volonté de ne sortir que des disques « individuels » ? Quels sont les groupes avec qui partager une face serait un honneur pour GASMASK TERRÖR ? 

Luc : C'est délibéré en effet, je trouve l'exercice du « split disque » très risqué, et généralement loupé – à moins d'avoir un concept cohérent commun aux deux groupes, ce qui est rarement le cas. Et même quand ça l'est, musicalement c'est rarement équilibré. On a eu plusieurs propositions de splits qu'on a toujours refusées (hormis la split K7 avec BLOODKROW BUTCHER qui n'est pas une vraie release, mais une sorte de compilation de morceaux studio, live et répét'… donc c'est assez différent). Si on devait en faire un, ça serait un groupe avec qui on a de vraies affinités personnelles.

Olivier : J'aime l'idée que faire un split soit la continuité d'une réelle amitié... Les groupes avec qui j'aimerais faire un split  ? Ben il y a HONDARTZAKO HONDAKINAK du pays basque par exemple... En groupe mort il y aurait eu LEXOMYL de Lyon, ça, ça aurait été chouette.

C'est bien beau les petits EPs tout beaux (et rouges !) mais à quand la sortie d'un album d'une excessive brutalité sur une longueur acceptable ? Car enfin, se lever toutes les cinq minutes pour tourner les 45 approche votre non-serviteur de la morgue, à moins de les passer en 33 mais les voisins ont voté contre. 

Luc : On y travaille, on est parfois un peu longs à composer à cause de nos activités annexes et autres groupes respectifs.

Fabro : Y'aura forcément un autre LP tôt ou tard. Après je ne sais pas si il sera d'une longueur tellement supérieure à celle des EPs. On est tous partisans du « court et efficace » pour ce genre de musiques dans le groupe. Donc ça ne dépassera surement pas les 20 minutes.

Vous partagez l'affiche avec des groupes de tous les genres violents 3 (metal, punk, hardcore, crust, grind…) sans pour autant être choqués, on dirait même qu'être confrontés à d'autres groupes / publics vous amuse alors qu'il serait si facile (et si bête aussi) de faire dans l'affiche 100% crust / D-beat / y-sont-pas-beaux-les-clous-de-mon-blouson ?

Olivier : On est tous les quatre des fans de musique et pas que de d-beat / crust / je-sais-pas-quoi donc ça paraît logique qu'on soit attiré par des affiches variées. Pour moi la ségrégation se fait plus au niveau des endroits où on joue et les endroits où on ne joue pas. A titre individuel je revendique le fait que GASMASK TERRÖR n'est pas fait pour jouer dans des salles conventionnelles / subventionnées, des salles avec des vigiles, des salles où si t'as pas de thunes tu peux pas rentrer. Et notre histoire récente me conforte dans cette idée.

Luc : Rien de plus chiant qu'un concert avec 5 fois le même groupe, on adore jouer avec des groupes complètement différents, et je crois qu'en France on a cette chance d'avoir des scènes un peu moins cloisonnées. Ca s'explique peut-être par le fait que la scène hardcore punk est moins développée ici, je sais pas, mais on a souvent joué avec des groupes assez éloignés de ce qu'on fait (expérimental, électro, metal, free jazz, folk…). C'est cool, ça permet de rencontrer des gens qu'on ne verrait pas forcément à nos concerts habituellement. Mais comme l'a dit Olivier on ne se sent pas vraiment à l'aise dans les « vraies » salles. On préfèrera toujours jouer à même le sol, sans retours, avec une vraie proximité / interactivité avec le public.

Fabro : Mes collègues ont tout dit. On aime des styles de musique variés donc c'est pareil pour les concerts.

© Jo Dastarac

Derniers mots, démerdez-vous, propagandez, vilipendez, expliquez pourquoi votre chouette site est devenu un bête Bandcamp, mais finissons-en avant que je ne d-beate que des conneries !! Merci à la Terreur du Masque à Gaz, à bientôt sur la route !!

Luc : Le Bandcamp c'est ma faute, mais un site provisoirement épuré est de nouveau en ligne. Merci Ged et bravo pour ton activisme et ton ouverture d'esprit. Restez alertes, affranchissez-vous de vos religions, et banguez cette tête qui ne bangue pas !

Olivier : Merci à toi ! Longue vie à L'Eglise de la putain de mort !

Fabro : Faites des groupes, des zines, des labels. Organisez des concerts et soutenez vos groupes locaux. Vous serez bien feintés le jour où ceux et celles qui font tourner tout ça passeront à autre chose et qu'il n'y aura plus rien. Merci et à bientôt !

1 voir GASMASK TERRÖR [Fra] 17101961 7’’ (Destructure - 2013).

2 voir GASMASK TERRÖR [Fra] Complete recordings 2004-2010 (Cactus Recs / Flower of Carnage / Sukma Recs) 2011.

3 tiens, voir par exemple SECTARIAN VIOLENCE [Usa] + GASMASK TERRÖR [Fra] + AMER [Fra] + PEUR PANIQUE [Fra] à Paris, Miroiterie le 27/03/12.

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