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Les étoiles évaluent le plaisir ressenti à la découverte des œuvres, rien à voir avec une quelconque note ! |
Genre : constat amer, années de plomb, société brisée, divisée…
Scénar : une classe d’adolescents picole une espèce de moloko avant de se jeter sur leur enseignante que l'on retrouve morte sur la table dans sa classe, nue et méchamment contusionnée. Les flics, horrifiés à leur arrivée, retrouvent une bouteille d'absinthe à 85° mais aussi une pièce suisse. La presse se précipite, ce cours accueillait des enfants des quartiers pauvres, des gamins qui nient tous leur participation au meurtre. Tout le monde voudrait mettre l’histoire sur le dos du super alcool et étouffer les détails. On recommande à l’inspecteur de ne pas secouer les suspects…car la loi les protège. Le plus jeune accuse l'élève le plus convenable mais le policier devine qu'il ne le fait pas innocemment, d’ailleurs tous accusent ensuite le même qui semble être le seul que l'on aurait pu sauver. Le policier veut convaincre l’éventuel bouc émissaire de tout raconter et d'espionner les autres mais, à cause de manières peu orthodoxes, il se fait réprimander par son patron qui veut éviter toute violence. Le flic soupçonne qu'un de ces gosses a tout organisé avec intelligence et préméditation, qu'il doit être puni même s’il devine que les autres passeront presqu'à tous les coups entre les mailles du filet. Soudain un témoignage rapporte la présente éventuelle d’une autre femme sur les lieux. Mais voilà, sous pression, le directeur de la police ordonne que soient relâchés les gosses. Dans une maison de correction, certes, mais loin du policier.
I ragazzi del massacro, c’est d’abord un roman d’un des plus grands écrivains de polar noir italien (d’adoption, il est né en Ukraine), Giorgio Scerbanenco, qui sort en 1968. L’auteur y décrit une Italie malade, relate des affaires abominables dans un climat des plus glauque que Fernando Di Leo a clairement tenté de reproduire, et avec succès. Ces gosses abominables, des tronches à claques pas possibles aux esprits tordus méprisent mais connaissent déjà la loi, n’ont même pas peur des centres de redressement (on se croirait en 2021 !), les gros plans d’une caméra inquisitrice sur leur visage ont l'air d’en vouloir montrer la perversité intouchable, plus protégée que l’innocence des victimes, un discours pour le moins droitier symptomatique des années de plomb qui commencent en cette année 1969 mais qui découlent aussi d’une décadence post-1968 dénoncée par les tenants traditionnels de l’ordre : des gens contre les lois de l'assistanat social, pour des peines sévères envers ces jeunes dont tout le monde semble avoir peur et un retour aux mœurs des bons catholiques (au hasard, celui que tout le monde accuse possède toutes les caractéristiques déployées à l'époque pour désigner un homosexuel), pourtant souvent bien pires vicelards qu’une jeunesse qui s’emmerde à mourir dans une société où l’élan économique s’est grippé, et profite toujours plus aux riches qu’aux pauvres, rien de nouveau sous le soleil de Milan.
Mais les personnages ne font pas tout le film, et même si le sous-texte est largement discutable (on a aujourd’hui les outils pour analyser la réaction italienne à un chaos généralisé), le constat dressé frise parfois le documentaire (si, comme à Naples pour les histoires de trafic en tous genres, les questions de la police n’ont pas facilement de réponse, c’est que la solidarité mais aussi la peur règnent sur des quartiers insalubres, la violence, l’alcool, la drogue, la prostitution sont des itinéraires bis pour des perdants désignés dès le départ, l’école est parfois prise comme une punition avant-coureuse, une perte de temps par rapport au passage à la « vie active » de la délinquance. Ici, les gamins ont les poches pleines de fric et personne ne semble savoir d'où il provient, trafic en lien avec la Suisse ou pas, la police n'est pas sortie de l'auberge. C’est bien simple, une petite victoire est toujours une victoire pour des services dépassés, et cet inspecteur à la coupe de Playmobil joue bien son rôle d’entêté épris de justice. On ajoutera que pour une fois les doublages sont excellents, tout comme une bande originale que l’on qualifierait plus de commentaire musical comme ce générique final très joli qui souligne pas mal le désespoir face à une situation inextricablement cauchemardesque, ainsi que les effets sonores ingénieux pour inspirer la frayeur (du free-noise avant l'heure, comme une craie qui se baladerait sur un tableau avec l’intention de faire mal).
P. S. : Fernando Di Leo consacrera à l’œuvre de Scerbanenco deux autres films, les deux premiers de son excellente Trilogie dite du Milieu : Milan calibre 9 et Passeport pour deux tueurs, sortis en 1972.
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