Les Visages écrasés de Marin Ledun (Seuil - 2011)

[Publié à l'origine dans C Le Mag #89]

Dans Vol de nuit, Antoine de Saint-Exupéry pose la question qui taillade: "un pont vaut-il le prix d'un visage écrasé" ? La réponse est évidente pour Carole : "C'est mon métier, je suis médecin du travail. Ecouter, ausculter, vacciner, notifier, produire des statistiques. Mais aussi: soulager, rassurer. Et soigner. Avec le traitement adéquat." Quitte à dégainer un Beretta et tirer, en lieu et place de la distribution d'antidépresseurs habituelle, une bien radicale pastille non issue des laboratoires pharmaceutiques classiques. Avec ce roman extrêmement sombre, l'auteur a saisi et su transmettre les sentiments et sensations d'une femme complexe sous haute tension, dans toute leur complexité et avec une justesse rare. Le lecteur vit dans la tête du personnage, Carole Mathieu, qui pilote ce roman à la première personne. Rendre un peu d'humanité à l'entreprise, du moins en dénoncer sans relâche les nombreux rouages pervers, secouer les consciences, voilà ce à quoi aspire Carole. "Dans le monde du travail tel qu'il existe aujourd'hui, qui peut faire la différence entre les morts volontaires et ceux qu'on mène à l'abattoir ?". Âme blessée elle-même, elle sur-consomme les comprimés divers et variés pour tenir, coûte que coûte. Quitte à défoncer les portes de la perception à grands coups de latte. Sa course effrénée pour sauver à sa manière ses patients les plus éprouvés par la hiérarchie et son impitoyable politique de harcèlement et de course aux résultats commence forcément à l'épuiser, jusqu'où pourra-t-elle aller sur le chemin du sacrifice ? Un roman véritablement prenant, sûrement inspiré par l'expérience de Marin Ledun pour son essai Pendant qu'ils comptent les morts (Aux éditions La Tengo - 2010) et la dramatique chaîne d'incidents et de suicides qui sont survenus dans les centres d'appel des entreprises téléphoniques. Noir c'est noir comme dirait l'autre.  

319 pages, 18€

ISBN: 9782021045529

© GED Ω - 01/11 2011